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Grosgris, chat sauvage-domestique

un chat gris allongé sur un canapé, de côté

Grosgris

Je ne me concède guère qu’un seul talent : que des chats s’installent chez moi et y restent.

Ici, Grosgris, qui partage ma vie depuis 2 ans.

Avant lui, c’était Chatoune, pendant 2 ans et demi. Notez au passage l’originalité des noms de mes chats. J’en suis très fière.

La Chatoune était une chatte partagée. Le matin vers 10h, elle se rendait chez des voisins quelques maisons plus haut dans la rue, où elle s’accordait une sieste, certainement méritée, dans le jardin, de préférence sous la chaise longue en plein été. Puis elle revenait me réclamer quelques croquettes et caresses. Nouvelle sieste. Puis nouveau départ pour la maison des voisins à l’heure de la sortie des classes, quand la fillette qui avait perdu son chat adoré quelques mois auparavant l’attendait impatiemment pour le goûter. Puis retour à la maison pour la soirée et la nuit. Le même manège mignon s’est tenu chaque jour depuis son arrivée, jusqu’à ce qu’un jour une saloperie de bagnole nous prive de la Chatoune.

Quelques jours après la tragédie qui nous coûta bien des larmes, aux adultes comme à l’enfant, Grosgris constatant l’espace vacant, décida de s’y installer. Enfin, ça a été un peu plus long et plus délicat que pour la Chatoune qui s’était littéralement jetée dans mes bras depuis un toit. Grosgris était un vrai chat de la rue depuis des années, un castagneur. Un gros matou qui a l’habitude se prendre des beignes et d’en donner, aux autres chats comme aux humains. Il y eut donc quelques griffures entre nous. Enfin… de lui sur moi. Mais une fois la phase d’approche passée, il s’est transformé en monstre de tendresse et de câlinage. On ne peut plus s’extraire de sa puissante emprise lorsque le moment du câlin est arrivé. Et son ronron dans l’oreille vous assourdit jusqu’à que ce qu’il en ait enfin son soûl.

Et pourquoi je vous raconte ça ? Eh bien parce que je ne comprends pas pourquoi. La domestication reste pour moi un mystère. Qu’un être libre qui peut subvenir seul à ses besoins, comme Grosgris et la Chatoune, décide de vivre avec un être d’une autre espèce, qui potentiellement limite sa liberté, ça me dépasse. La seule explication à laquelle je me résous est l’affection qu’ils peuvent avoir pour leur humain·e. Ça ou alors, eux comme nous, nous sommes prêts, aujourd’hui comme depuis quelques millénaires, à sacrifier notre liberté pour du confort, nécessairement assorti de contraintes.

Comment un chat sauvageon aux griffes tranchantes comme des lames de rasoir devient-il ce patapouf avachi sur le canapé, les quatre fers en l’air ? Comment sommes-nous, nous aussi, devenus des êtres avachis sur nos canapés (moi la première) ? J’aime bien la théorie, un peu au doigt mouillé, de Konrad Lorenz sur l’auto-domestication de l’homme. Il s’est basé sur l’observation des animaux domestiques en comparaison avec leurs cousins sauvages et en a déduit des caractéristiques liées à la domestication : problèmes alimentaires (obésité), problèmes sexuels (hypersexualisation) et régression infantile (activité ludique). Sounds familiar?

Depuis quelques mois, Grosgris joue. Avec n’importe quoi qui pendouille devant lui. Ça m’inquiète.

Ne nous laissons pas domestiquer.